Connu d’une poignée d’historiens et d’Afro-Américains, le port de Bimbia était une pierre angulaire du commerce triangulaire. Un site auquel il est temps de rendre hommage…
Bimbia la méconnue
Pour ceux qui l’ont arpenté, le Cameroun représente l’Afrique en miniature. On trouve ici bien des atouts du continent : découvertes culturelles, randonnées en pleine nature ou encore farniente sur la plage… Du mont Manengouba avec ses lacs jumeaux aux paysages uniques des gorges de Kola, en passant par les paysages du pic de Rhumsiki, déjà vantés par André Gide, les sites sont aussi beaux que variés. Dans ce pays encore trop boudé des itinéraires touristiques, un endroit sis en zone anglophone est encore moins connu des voyageurs : l’ancien port négrier de Bimbia.
A la différence de l’île de Gorée au Sénégal ou de Ouidah au Bénin, Bimbia est tombée dans l’oubli. Depuis la ville balnéaire de Limbé dans le sud-ouest du Cameroun, il faut rouler près d’une heure sur une piste pour rejoindre ce village perdu en pleine forêt. Redécouvert en 1987 et classé au patrimoine national, Bimbia fait aujourd’hui partie du Programme Ancestry Reconnection (retour aux origines pour la reconnexion avec l’Afrique), soutenu par l’association ARK Jammers qui aide les Afro-Américains à retrouver leurs origines africaines après un test ADN.
Une Afro-descendante sur la trace de ses ancêtres
Sandy Abena est une des Afro-descendants repartis sur les traces de leurs ancêtres. Cette Guadeloupéenne a créé Abenafrica, un média mettant en lumière les histoires et richesses des communautés noires. En 2021, elle se lance dans l’aventure de découvrir dix pays africains en dix mois, où elle partage avec sa communauté un visage à la fois positif et hors des sentiers battus du continent.
Pour elle, Bimbia est une étape incontournable dans cet ambitieux périple : “En créant Abenafrica, j’ai approfondi ma connaissance des mondes africains. J’ai rencontré un historien passionnant originaire du Cameroun. Il m’a appris que Bimbia était une plaque tournante du commerce transatlantique. Depuis c’était une évidence pour moi de m’y rendre.”
Elle continue ses recherches et comprend qu’elle n’est pas la seule à ignorer l’existence de Bimbia : “Quand on évoque les ports négriers, on pense aussitôt à Gorée, comme si les Africains réduits en esclaves étaient tous déportés de là-bas… Ils sont pourtant partis de plusieurs ports, y compris de l’autre côté du continent, avec Zanzibar par exemple. J’ai découvert que Bimbia était une sorte de plaque tournante en Afrique Centrale d’où ont été déportés des Africains venant de loin, comme le Sierra Leone ou le Congo…”
Selon les études disponibles, sur les douze millions de déportés aux Amériques entre le XVIème et le XIXème siècle, plus de 10% seraient partis du port de Bimbia.
Selon Sandy, c’est avant tout une absence de volonté politique qui laisse Bimbia dans l’ombre : “A Ouidah ou à Gorée, les sites sont valorisés, les structures restaurées et réhabilitées. Au Ghana, il existe même un ministère du tourisme et des Afro-descendants qui milite pour le retour des Afro-Américains. Au Cameroun, on n’est pas encore à ce niveau en termes de tourisme…”
“Maintenant les ancêtres savent que tu es là”
Les Camerounais ignorent pour beaucoup l’existence du port négrier, Sandy témoigne : “Il y a même des guides touristiques qui ne connaissent pas cet endroit !”
Un gardien souvent absent, des pancartes mal entretenues et surtout, un endroit laissé à l’abandon, comme s’il n’avait pas été touché depuis l’époque du commerce triangulaire… le site de Bimbia est très loin de la touristique Gorée.
Sandy est saisie.
“La porte qui grince, la place réservée aux femmes, celle pour les hommes, des écritures sur les pierres, des morceaux de fer. Les chaînes qui sont encore là, surtout… Quand on arrive à la plage, on voit l’îlot d’où partaient les bateaux, on réalise comment se déroulait le début de ce voyage sans retour. J’ai littéralement marché sur les pas de mes aïeux.”
Sur la plage aujourd’hui tranquille, les arbres usés par les vagues poussent à l’horizontale. L’eau de mer se loge dans le creux de leurs troncs. Les voyageurs sont invités à recueillir un peu de cette eau et à se laver les mains avec. Ce geste symbolique clôt la visite, avec ces quelques mots : “Maintenant les ancêtres savent que tu es là.”
Pour en savoir plus sur Sandy Abena (de son vrai nom Sandy Salyeres) : https://www.instagram.com/abenafrica/
Source: https://voyage.tv5monde.com/fr/bimbia-la-goree-camerounaise-sortira-t-elle-de-loubli
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